Je pris conscience que
la maladie a un sens l'année de mes 12 ans.
C'était en 1970, et à
l' époque, on ne parlait ni de médecine alternative, ni de décodage biologique.
Pour l'immense majorité
des gens, cohabitait d'un côté, une médecine pure et dure issue du 19 ème
siècle, qui au gré des découvertes scientifiques et technologiques se
modernisait mais conservait dans sa pratique la mentalité du siècle passé.
De l'autre côté,
subsistait dans la confidentialité, une offre alternative étriquée dont le sens
et les pratiques plongeaient leurs racines dans une vision
"médiévale".
J'avais 12 ans quand ma
mère m'informa que mon père qui travaillait en Afrique, venait d'être victime
d'un grave accident de voiture.
Il était dans le coma,
entre la vie et la mort.
Une semaine plus tard,
commencèrent mes quintes de toux.
Elles ne durèrent que 5
mois, mais pour ma famille, mes profs, mes copains, et surtout pour moi, ces
cinq mois furent insupportables.
Trois toussotements qui
se répètent plus ou moins toutes les 30 secondes, du matin jusqu'au soir,
mettent les nerfs de l'entourage à rude épreuve.
Après de nombreuses
radiographies, des visites tout aussi nombreuses chez les médecins, en passant
par une discrète séance chez une guérisseuse au fin fond de la campagne
poitevine, sans parler des sirops aussi inefficaces les uns que les autres, mes
parents m'accompagnèrent chez un spécialiste de renom qui trouva mon cas très
intéressant. Il rassura mes parents et leur dit que j'avais une toux nerveuse
et qu'avec le temps cela disparaitrait.
Ainsi, j' eus droit également
à une séance chez un psychiatre. Une seule, car ma mère le trouva encore plus
étrange que mes quintes de toux.
En attendant que ma
toux disparaisse, si jamais elle devait disparaitre un jour, car aucune
estimation de temps n'avait été pronostiquée, j'étais devenu indésirable
pratiquement partout. Même mes parents, surtout mon père convalescent et très
affaibli, supportaient difficilement mes expectorations nerveuses et
m'envoyaient "tousser
ailleurs".
L' énigmatique toux et
le sentiment d'être un pestiféré finirent par me peser énormément.
Même si personne n´avait
jamais véritablement souligné le lien, la seule évidence pour moi était que le
problème avait débuté après l´accident de mon père.
Cette vérité s'imposa
et m' obligea à me demander non pas comment faire pour me débarrasser du
problème mais plutôt à chercher à comprendre le pourquoi et le comment de cette
toux.
Que s´est-il passé ?
Qu´est-ce que l´accident de mon père a déclenché?
À ce moment là, instinctivement,
j'ai senti au plus profond de moi que la seule façon de comprendre était de me
remémorer jusque dans les détails, ce que j´avais éprouvé sur le moment.
Quand ma mère m’annonce
la terrible nouvelle, je me rappelle ne ressentir aucune émotion.
Seule une certaine
gravité m’habite, comme si cet accident concernait un lointain parent.
Je ne pleure pas.
L'espace d'un instant,
je trouve cela assez étrange et je m'en veux de ne rien ressentir...
Pourtant j´aime mon
père profondément. C´est mon héros, ma référence.
Une culpabilité
m´envahit et je m’efforce de ressentir de la peine, du chagrin, mais rien ne
vient. Comme si tout l´amour que j’ai pour mon père avait soudain disparu.
Mon coeur est vide, dur
et surtout triste de ne pouvoir rien ressentir.
Triste de cette obscure
culpabilité.
Rapidement, devant les
larmes de ma mère qui tient le télégramme, j’enfouis mes pensées.
Je détourne mon regard
du sien afin qu’elle ne voit pas "ma coupable honte."
Elle me serre dans ses
bras en pleurant.
Une tristesse profonde
m’envahit de la voir pleurer.
En revivant ces
instants, je réalise n'avoir rien ressenti pour mon père.
Je devais comprendre
pourquoi une partie de moi avait disparu.
Encore une fois j’ai dû
remonter le temps.
Cela fait 6 mois que
mon père est parti en mission en Afrique. Il nous écrit, nous téléphone une
fois par semaine, quand il le peut. Au début son absence est très pesante.
Mais au fil des
semaines et des mois qui passent, son image s´efface peu à peu de ma mémoire.
Je dois faire un effort pour me rappeler son visage. Même en regardant les
photos, je n’y parviens pas.
De mon horizon d’enfant,
il disparait progressivement.
De cet effort de
mémoire, j´ai compris le sens de ma culpabilité.
La spirale du temps
avait irrémédiablement fait son œuvre, dissimulant derrière la distance
physique, celle des sentiments. L´habitude s’est installée, bloquant et
empêchant mon chagrin de s’exprimer pleinement.
Ce chagrin d’enfant qui
opprime la poitrine, fait avoir le "cœur gros", suffoquer et
chercher de l’air...
J´ai réalisé à cet
instant que mon immense chagrin enfoui sous la culpabilité se manifestait au
travers de ma toux "nerveuse".
Simultanément, cette compréhension
s´accompagna d’un grand soulagement et sentiment d’indulgence envers moi-même.
Cet étrange pardon
fissura mon cœur, me faisant alors pleurer à chaudes larmes.
Le lendemain, ma toux
avait disparu.
